Messieurs les ronds de cuir

"Le Ministère des dons et legs est une bien curieuse maison", se répète l'honnête conservateur du musée de Vannes-en-Bresse venu à Paris pour récupérer le don Quibolle. La joie paraît régner à tous les étages, la gaîté fuse de tous les bureaux. Nul ne travaille beaucoup, chacun s'occupe de ses petites affaires. Ainsi l'aimable Lahrier, rédacteur en titre, passe le plus clair de son temps à composer des refrains pour la prochaine revue des Folies Moutonnières et à faire répéter au ministère même les évolutions des girls. 　　De temps en temps, il se prend de bec avec le répugnant père Soupe, modèle encroûté du fonctionnaire passif et poussif, et essaie de ménager la hargne de son supérieur hiérarchique, le rogue M. La Hourmerie. Celui-ci a tout de même une qualité : celle d'être le beau-frère d'une créature brune et acide qui sait bien vite s'accorder avec Lahrier, tant et si bien que ce dernier n'a de cesse de donner sa démission au directeur, M. Nègre, homme à femmes, aimablement ironique et sujet à de brusques crises d'autorité. 　　Lahrier partira donc sans regretter les excentricités de plus en plus inquiétantes de M. Letondu, qui souffle dans un cor de chasse, jette par la fenêtre les souliers de ses collègues, rêve d'assassiner La Hourmerie et attend sans impatience le cabanon où il achèvera ses jours. 　　Quant à M. Chavarax, fonctionnaire ponctuel et méticuleux, il devra son avancement aux entreprises de sa charmante femme qui, par ambition, se dévoue corps et âme pour son mari. Ainsi juge le conservateur de Vannes-en-Bresse, errant de bureau en bureau, à la recherche de son dossier perpétuellement égaré...